La réalité des pères d’enfants ayant vécu certaines difficultés
Contexte de l’étude
Le Regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP), en collaboration avec la firme de recherche SOM, a mené en mars 2022 un sondage afin de mieux comprendre la réalité des pères québécois ayant des enfants de moins de 18 ans ayant déjà rencontré certaines difficultés. L’objectif était de cerner ce que signifie la vulnérabilité dans le contexte de la paternité, tout en tenant compte de la diversité des parcours familiaux et des expériences vécues. Au total, 2 119 pères ont participé au sondage, dont 907 avaient un ou plusieurs enfants ayant déjà rencontré des difficultés de santé, de développement ou de comportement. Les difficultés rencontrées par les enfants pouvaient inclure, entre autres, une incapacité physique ou un problème de santé chronique, un retard global de développement (p. ex. : déficience intellectuelle, trouble du spectre de l’autisme, syndrome de la Tourette), un trouble du langage ou de la parole, de l’hyperactivité ou un trouble de l’attention (TDA, TDAH), un trouble anxieux ou dépressif, un handicap physique ou sensoriel, ainsi qu’un trouble du comportement. Les 1 212 autres pères avaient des enfants sans ce type de difficulté.
Cet article présente une synthèse des résultats de ce sondage, en portant une attention particulière aux besoins et aux expériences des pères dont les enfants ont connu des difficultés, comparativement aux autres pères.
Portrait familial
Les résultats du sondage permettent de tracer un portrait familial des répondants. En moyenne, les enfants présentent deux types de difficultés. Les plus fréquentes sont le TDAH (53 %), les troubles anxieux ou dépressifs (43 %), les troubles du langage (29 %) et les troubles du comportement (20 %). Par ailleurs, 59 % des pères d’enfants en difficulté ont eux-mêmes déjà vécu au moins un problème personnel, comparativement à 28 % des pères du groupe comparatif. Les difficultés les plus courantes chez ces pères sont les troubles anxieux ou dépressifs (33 %), les troubles de l’attention (19 %) et les problèmes de consommation (17 %). La majorité des répondants vivent néanmoins dans une famille intacte ou nucléaire, ont la garde de leurs enfants à temps plein et sont toujours en couple avec la mère de leurs enfants.
Santé psychologique et bien-être
La majorité des pères (75 %) dont les enfants ont vécu certaines difficultés ont ressenti, au cours du dernier mois, au moins un signe de détresse psychologique. Notamment de la nervosité, de la fatigue, du découragement ou un sentiment d’inutilité. À titre comparatif, cette proportion est de 59 % chez les pères dont les enfants n’ont pas connu ces difficultés. La nervosité, la fatigue et le désespoir sont les émotions les plus fréquemment rapportées. Toutefois, ces émotions sont généralement vécues de manière ponctuelle plutôt que constante, ce qui évoque une détresse modérée, mais bien réelle.
Sur le plan de la résilience, les pères d’enfants ayant vécu certaines difficultés affichent une moyenne légèrement inférieure (3,5 sur 5) à celle des autres pères (3,7). Malgré cet écart, la majorité semble tout de même posséder les habiletés nécessaires pour faire face aux situations stressantes ou exigeantes. Cela dit, la détresse est plus élevée chez les pères en situation de vulnérabilité : sans emploi, à faible revenu, ayant un enfant avec plusieurs difficultés, plus jeunes (25-34 ans), séparé, vivant en famille recomposée ou encore anglophone.
Lorsqu’on s’intéresse aux idées suicidaires, un peu plus d’un père sur dix (11 %) ayant un enfant vivant des difficultés a déclaré y avoir sérieusement songé au cours de la dernière année, soit plus du double de la proportion observée chez leur contrepartie (5 %). Ce risque est plus fréquent chez les pères présentant une forte détresse psychologique, une faible résilience ou ayant vécu une séparation récente. Par ailleurs, les pères anglophones, ceux issus de l’immigration, ceux ayant déjà subi de la violence ou vivant dans une famille recomposée comptent également parmi les groupes les plus vulnérables.
Expérience du rôle de père
Les pères voient majoritairement la paternité comme une source de fierté, de plaisir et d’épanouissement, et affirment que ce rôle occupe une place essentielle dans leur vie. Sur ces aspects, les deux groupes étudiés sont très similaires. La plupart ont aussi vécu la transition vers la parentalité avec aisance. Cependant, l’adaptation est plus difficile chez certains pères en situation de vulnérabilité (faible revenu, détresse élevée, faible résilience, famille recomposée, enfants plus jeunes), ainsi que chez les anglophones et ceux ayant déjà vécu de la violence.
Sur le plan de la compétence parentale, près de 9 pères sur 10 se sentent à l’aise dans leur rôle et s’estiment de bons modèles. Toutefois, ils sont moins nombreux à trouver simples les problèmes liés à l’éducation de leurs enfants (61 % contre 80 % chez les autres).
Quant au stress parental, environ trois pères sur dix perçoivent la paternité comme une source de stress ou d’anxiété, une proportion comparable dans les deux groupes. Ce stress est toutefois plus fréquent lorsque l’enfant présente plusieurs difficultés, ainsi que chez les pères anglophones ou ayant une faible résilience ou de jeunes enfants.
Enfin, les pères se sentent généralement plus valorisés par leurs enfants que par leur entourage. Ceux dont les enfants ont vécu des difficultés rapportent toutefois un sentiment de valorisation légèrement moindre, même si la majorité dispose de modèles positifs et se sent confiant dans leur rôle.
Relations familiales
Dans l’ensemble, les pères rapportent une relation généralement positive avec leurs enfants. Toutefois, cette proportion est un peu plus faible chez ceux dont les enfants vivent des difficultés (91 % contre 98 %). L’écart est encore plus marqué lorsqu’il est question du temps de qualité passé avec leurs enfants : 65 % des pères d’enfants en difficulté s’en disent satisfaits, contre 80 % des autres pères. Cette satisfaction est particulièrement faible chez les pères dont les enfants cumulent plusieurs difficultés, présentent une faible résilience, vivent dans une famille recomposée ou ont été victimes de violence.
Par ailleurs, les pères d’enfants ayant connu certaines difficultés se disent généralement satisfaits de leur relation avec leur coparent, tant pour la qualité globale (81 %) que pour le partage des tâches (79 %), la communication (77 %) ou la vision commune de l’éducation (80 %). Toutefois, ces proportions demeurent légèrement inférieures à celles observées chez les autres pères (entre 86 % et 91 %). Les pères les plus à risque d’être moins satisfaits de leur relation coparentale sont ceux sans conjointe, ceux ayant vécu une séparation récente ou vivant dans une famille recomposée, ainsi que ceux présentant un niveau de détresse élevé ou une faible résilience.
Soutien et ressources
Sur le plan du soutien social, plusieurs pères peuvent compter sur leur entourage, mais ce soutien reste parfois limité. Les parents constituent la principale source d’aide (34 %), suivis des beaux-parents (29 %) et d’autres membres de la famille (26 %). L’aide des amis demeure la moins présente (19 %). Les pères d’enfants ayant vécu des difficultés sont généralement moins bien entourés, malgré des besoins souvent plus grands.
En ce qui concerne les services disponibles, environ la moitié des pères jugent que les services d’éducation, les employeurs ainsi que les services de santé et sociaux sont adaptés à leur réalité. Toutefois, ils sont moins nombreux à estimer que les services communautaires (42 %), les lois et règlements (38 %) ou le droit de la famille (31 %) répondent adéquatement à leurs besoins. De plus, la conciliation famille-travail demeure un défi pour plusieurs, particulièrement chez les pères d’enfants ayant rencontré des difficultés (44 % contre 36 %). Ces mêmes pères sont aussi plus nombreux à consulter des ressources pour obtenir du soutien : 56 % ont fait appel à un médecin ou à un professionnel de la santé (contre 39 %), et 21 % ont sollicité un intervenant psychosocial (contre 10 %).
Parcours de vie et enfance du père
Lorsqu’on examine les expériences familiales des pères durant leur propre enfance, une grande proportion rapporte avoir reçu de l’attention positive de la part de leurs parents, particulièrement de leur mère (80 %), comparativement à leur père (63 %). Toutefois, les pères d’enfants ayant vécu certaines difficultés sont moins nombreux à mentionner avoir bénéficié de cette attention, surtout du côté paternel. Par ailleurs, 69 % des pères ayant un enfant en difficulté déclarent avoir vécu au moins une forme de violence dans leur milieu familial lorsqu’ils étaient jeunes, comparativement à 51 % parmi les autres pères, un écart notable. Les formes de violence les plus couramment rapportées sont la violence physique mineure et les agressions psychologiques, suivies de la violence physique sévère.
Conclusion
Dans l’ensemble, les résultats du sondage montrent que les pères d’enfants ayant vécu certaines difficultés vivent des réalités plus exigeantes et présentent davantage de signes de vulnérabilité que les autres pères. Malgré ces défis, la majorité des pères demeurent engagés, résilients et investis dans leur rôle parental. Ces constats soulignent l’importance d’offrir du soutien adapté aux pères confrontés à des situations familiales plus complexes, afin de préserver leur bien-être psychologique et de favoriser le développement harmonieux de leurs enfants.
Bibliographie
SOM Recherches et stratégies. (2022). Sondage portant sur la vulnérabilité dans le contexte de la paternité auprès de pères dont les enfants ont déjà fait face à certains problèmes. Rapport préliminaire présenté au regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP). https://www.rvpaternite.org/wp-content/uploads/2023/10/sondage-SOM-vulnerabilite-contexte-probleme.pdf
Article rédigé par April Brum-Lalonde, étudiante au doctorat en psychologie et assistante de recherche au Regroupement pour la Valorisation de la Paternité.